Extrait de LAPRESSE + du 16 mars 2014
GUERRE DES ENCHÈRES
LA POUBELLE DES UNS,
LE TRÉSOR DES AUTRES
Bâties sur le modèle de l’émission de téléréalité américaine Storage Wars, les enchères organisées dans les entrepôts font de plus en plus d’adeptes à Montréal. Chaque mois, des dizaines de personnes s’affrontent pour acheter le contenu de casiers impayés, à la recherche d’un trésor oublié ou d’une affaire en or. Notre journaliste a assisté incognito à l’un de ces encans.
ANABELLE NICOUD
LA PRESSE
« Les voyeux ou les acheteux qui veulent dépenser 5 $ ou 10 $, perdez pas votre temps. »
Devant près de 300 personnes agglutinées dans un couloir d’un grand entrepôt montréalais, un samedi matin d’hiver, l’encanteur Fabrice Lobascio énonce les règles du jeu. Quatorze casiers vont être vendus aux enchères.
Chacun d’entre eux sera ouvert, et les curieux pourront jeter un coup d’œil, pas plus, depuis le pas de la porte, avant de miser. Il est interdit d’entrer dans le local, de toucher ou même d’ouvrir les cartons.
« Ça, faut aimer jouer, reconnaît M. Lobascio. Si vous n’aimez pas jouer, vous n’êtes pas à la bonne place. »
Une fois la mise remportée, la note est à payer immédiatement. Le casier, lui, doit être libéré dans les trois jours.
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Il est 10 h 40, le cadenas du premier casier est ouvert.
Une longue file de personnes s’approche de la porte, qui laisse découvrir une chaise de bureau éventrée, une machine de gym démontée et quelques boîtes. Une dizaine de personnes se montrent intéressées, et les enchères commencent à 100 $.
« Criss, 100 $ pour des poubelles », s’indigne un spectateur.
À coups de 25 $, le lot trouve preneur pour 175 $ en une minute : adjugé à deux jeunes hommes en jogging, lunettes de soleil vissées sur le nez et lampes de poche géantes en main. Ils sont immédiatement escortés vers la caisse.
La longue file se déplace vers le casier suivant.
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La porte s’ouvre cette fois sur une laveuse-sécheuse, des tables et des chaises empilées.
Juché sur une petite caisse en plastique, Fabrice Lobascio ne se laisse pas démonter.
Micro en main, l’encanteur entame les enchères.
« J’ai maintenant 100, j’ai maintenant 100, maintenant donne-moi 200, j’ai 125, maintenant can I get 150, donne-moi 150, can I get 150, qui me donne 175 ? »
À 200 $, la porte se referme. Comment peut-on mettre un prix sur une marchandise que l’on voit depuis le pas de la porte ?
« Il faut avoir l’œil, regarder dans le coin, voir ce que l’on peut trouver », conseille un homme. Lui et sa femme ont transformé le sous-sol de leur bungalow de Laval en « magasin ». Leur champ d’activité ? Kijiji. Leur meilleur coup ? Trouver une machine à écrire Remington de 1956, achetée 25 $, revendue 80 $.
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Fabrice Lobascio a commencé à organiser des ventes de type « guerre d’enchères » il y a bientôt trois ans avec son entreprise Encan Transit. « C’est sûr qu’il y a un engouement avec l’émission de télévision, estime celui qui compte 25 ans d’expérience dans le domaine. Mais ce n’est pas une pièce de théâtre, c’est un vrai encan. »
Les entrepôts sont de plus en plus friands de cette formule, qui a l’immense avantage de rembourser les notes des mauvais payeurs en plus de libérer, sans frais, les casiers. « Mais croyez-moi, ils ne le font pas de gaieté de cœur », dit M. Lobascio.
Forte des succès de la formule dans l’ouest du Canada, l’entreprise canadienne Sentinel a fait sa première « guerre d’enchères » à Montréal il y a deux ans. La formule a fait mouche. Lise Dubé, directrice des opérations chez Sentinel, semble s’en étonner.
« Avant, quand on vidait les casiers nous-mêmes, je voyais passer les objets un par un, et des trésors, je n’en ai jamais vu. Mais des choses bizarres, comme l’urne de la grand-mère, on en voit. »
— Lise Dubé, directrice des opérations chez Sentinel
Patrick Giroux et Mélanie Doiron sont pourtant devenus experts en encan. Depuis plusieurs années, le couple vit exclusivement des revenus tirés de la revente, sur l’internet, d’objets dénichés aux enchères.
« C’est sûr que les “guerres d’enchères”, ce sont les plus populaires », affirme M. Giroux.
Il assure pourtant qu’il n’achète pas à l’aveuglette et analyse toujours ce qu’il peut tirer des objets aperçus dans les casiers.
Le couple a décroché le gros lot une fois, avec une mise de 3700 $ : tout un salon de coiffure haut de gamme était entreposé dans des boîtes.
« On en avait pour 100 000 $ de stock », se souvient-il.
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Après avoir payé 175 $ et les taxes, les heureux acheteurs du premier casier ont pu aller découvrir leurs biens. Une fois la porte ouverte, ils fouillent sans attendre les sacs et cartons. Une odeur de poussière et de saleté envahit le petit local éclairé par les lampes de poche. Dans leur butin : un soutien-gorge, une boîte de tampons vide, des cahiers ou encore une liasse de contraventions. Pas de quoi effrayer ces jeunes hommes qui tiennent un pawnshop.
Des déchets, ils extirpent des objets et leur attribuent des prix de manière arbitraire pour les novices, catégorique pour ces experts présumés. Ici, 5 $ pour une lampe. Là, 30 $ pour une vieille boîte à outils.
« On est déjà dans notre argent », se félicitent-ils pourtant.
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Ce matin-là, les enchères ont fini par décoller, pour aller jusqu’à 2000 $.
N’est-ce pas étrange de s’arracher à prix d’or les rebuts des autres ?
« Vous savez, les poubelles des uns, c’est le trésor des autres », répond, philosophe, l’un des participants.
GUERRE DES ENCHÈRES
LES GUERRES D’ENTREPÔT À LA TÉLÉVISION
C’est l’émission de radio This American Life qui, la première, a parlé du phénomène des enchères dans les entrepôts. À la télévision, Storage Wars a été lancée sur la chaîne A&E en 2010. Trois ans plus tard, une version canadienne a été créée. La guerre des enchères est diffusée depuis un an sur Canal D.
GUERRE DES ENCHÈRES